Un tour de piste avec Maxime Morel

Photo © Sarah Lefèvre 

 

Maxime Morel est né à Paris en 1986. Il vit entre Paris, Bayonne et l’Exopotamie. Lorsqu’il n’est pas sur les routes, il enseigne l’écriture et l’histoire de l’art à l’ESAPB (école supérieure d’art Pays basque).

Sinon, il passe beaucoup de temps à regarder dehors, se promener sur des chemins de halage, travailler et lire au lit, chercher comment et où mettre ses jambes, écrire à des ami·e·s et cuisiner des plats de légumes immenses.

Ses yeux sont remplis de paysages rapides, de pins, d’usines, de digues, de perruches à collier, de mondes paléolithiques, d’informations inutiles glanées sur Internet, de personnages qui ouvrent les bras, de joies sauvages, de documentaires animaliers, de cheveux fous, de petites notes.

 

 

Piste de décollage ou piste d’atterrissage ?

Les deux ! Ça décolle et ça atterrit dans Poésie-Paléo. Toute une partie du texte se nourrit d'emprunts, de collages, de détournements. On pourrait dire en cela que PP est une piste d’atterrissage dont je serais l’aiguilleur. J’ai beaucoup pioché chez Emiliy Dickinson ; outre la force poétique en tant que telle, j’aime beaucoup son rapport à l’observation. Et ça croise aussi des géographies entre le Pays basque et l’Amérique. Il y a plein d’autres atterrissages : Lenore Kandel par exemple, que j’ai découverte récemment dans Beat Attitude – Femmes poètes de la Beat Generation. J’aime énormément les poèmes liés à ses expériences sexuelles.

Il y a aussi des registres de textes qui atterrissent là sans qu’on l’ait vraiment demandé. C’est un peu le cas pour la partie que je consacre au régime-Paléo : l’origine des textes viennent de divers sites de nutritions.

Mais une fois atterri, c’est immédiatement relancé dans le texte et dans la vie. Tous ces emprunts, c’est aussi une façon pour moi de remettre en jeu ces fragments de textes. De montrer comment notre regard se façonne à partir de nos lectures, de ce qu’on voit ailleurs.

Comment la poésie s’agrippe à la vie (et l’inverse)

 

Piste cyclable ou piste sauvage ?

Les deux. C’est un équilibre fragile, il faut du cyclable et du sauvage. Je suis très attaché à la question de la structure générale du texte. J’ai beaucoup de mal à considérer un « poème » seul. Chaque texte de Paléo-Poésie se déploie par rapport aux autres. Il y a des moments de respiration, plus calmes, qui ont moins d’intérêt en tant que textes, mais qui permettent aussi d’amener vers d’autres moments plus sauvages. J’ai été très marqué par des poètes et poétesses américain·es, qui déploient cette idée de pistes cyclables / sauvages dans des espaces très tangibles. C’est le cas de William Carlos Williams avec Paterson, et aussi de Eleni Sikelianos avec le grand Poème Californie.

L’idée de la piste m’intéresse aussi parce qu’elle situe la forme poétique vers le dehors. Je suis rarement sensible aux jeux langagiers un peu abstraits, ou très hors-sol.

 

Piste de cirque ou piste de danse ?

De danse plutôt. Parfois, quand je suis sur le vélo, j’ai vraiment l’impression de faire des mouvements dansés, entre les avant-bras, les mollets, les cuisses, les fesses.

Une fois, j’ai regardé tellement longtemps le bord de mer, les vagues contre une digue à Anglet, que les écumes se sont vraiment mises à ressembler à des petits fantômes qui dansaient.

Et puis l’eau, sous plein de formes, danse beaucoup au Pays basque. Elle sculpte aussi tous les paysages, une danse discrète et lente, qui a le temps.  

 

Piste verte, piste noire ou hors-piste ?

Un peu les trois. Le vrai protagoniste de PP, c’est un petit personnage invisible qui existe entre moi et le monde. Il s’appelle écriture. Et il peut aller presque partout ! Mais il y va doucement, et souvent, il doit revenir plusieurs fois au même endroit.

 

Piste de dés ou piste sonore ?

Plutôt pistes sonores. Il y a quelque chose que je ne fais qu’avec mon mp3 : j’écoute juste les quelques premières secondes de chansons successives. Ça recompose un drôle de truc. Parfois c’est juste des applaudissements parce que j’aime bien les live.

 

Jeu de piste ou tour de piste ?

J’aime assez l’idée du jeu de piste. Travaillant à PP, je sortais beaucoup, j’allais beaucoup écrire sur le paysage, dans une solitude certaine. Mais c’étaient des moments très joyeux, très joueurs. Avec l’idée oui, d’être pris dans un grand jeu avec le paysage, avec des protocoles un peu spécifiques.

Il fallait chercher plein d’indices dans le paysage, essayer de découvrir ou de se rappeler ce qui s’était joué, essayer de les imaginer de plein de manières.

 

Piste de réflexion ou piste de travail ?

Plutôt de réflexion. J’ai toujours considéré la forme poétique aussi comme le lieu de la connaissance. En ce sens, je me sens assez proche d’une certaine idée surréaliste de la poésie, une poésie qui explore, qui est un mode de connaissance.

 

Multipiste ou utopiste ?

Utopiste, à fond. Je crois profondément en une pensée de l’utopie, non pas qui prévoit comment ça devrait être, comme un cadre rigide (d’ailleurs, les penseurs de l’utopie ne l’envisagent pas du tout comme ça), mais plutôt comme des machines à faire exploser l’imaginaire, pulvériser toutes nos certitudes sur la façon dont on vit, indiquer d’autres directions.

La forme poétique est partie prenante d’une certaine pensée de l’utopie, en tout cas dans le registre que j’explore.

Elle peut donner à penser et sentir le monde autrement : en multipliant les strates du sensible, en mettant en lumière la façon dont les êtres et les choses se métamorphosent, en donnant à voir d’autres façons d’habiter le monde.

Elle le fait avec son langage propre, ce qui me semble fondamental. Elle invente un langage à la mesure du monde qu’elle cherche à indiquer et à décrire.

 

Poésie ou Paléo ?

D’abord la poésie ! Ça fait une quinzaine d’années que j’ai une petite activité fragmentaire, qui se déploie selon plusieurs modalités et notamment dans l’enseignement de l’écriture à l’ESAPB (école supérieure d’art du Pays Basque). Mais pour écrire et publier un ensemble poétique, il faut un alignement des astres assez unique. Les choses ont commencé à s’ordonner à partir de début 2018 avec Cézanne, le port industriel de Boucau, les grottes au Pays basque et le vélo.

Sinon, la lecture poétique m’accompagne depuis l’adolescence. C’est le genre que je lis en majorité, avec les essais.

Il y a beaucoup d’éditeurs de poésie contemporaine en France. En même temps, tout le monde passe son temps à dire que personne ne lit de poésie, et chaque année, mes étudiant.e.s de l’ESAPB témoignent d’un goût, voire d’une passion assez folle pour l’écriture et la lecture poétique. Une partie de la poésie contemporaine française, trop purement conceptuelle ou aristocratique, me tient pourtant à distance.

J’ai toujours beaucoup suivi ce que faisaient les éditions Corti, notamment dans la série américaine, comme avec Larry Eigner, Lorine Niedecker, Paul Blackburn, Claudia Rankine, et d’autres. Et puis, j’aime aussi l’idée d’un rapport à une poésie qui soit traduite. C’est d’emblée une façon de la faire descendre d’un piédestal sur lequel elle est parfois. Je ne crois pas beaucoup à une sacralité de la langue.

Le paléo, ça vient aussi par étape. D’un côté, je suis fou d’histoire et d’histoire de l’art, et des échos que ça peut générer avec la poésie (je pense notamment à Charles Olson ou Cole Swensen). La façon dont les temps se mêlent. Et puis là aussi je pourrais parler d’un alignement des astres : en 2018, on me commande un cours sur Cézanne pour l’École du Louvre. Ce qui ne me réjouit pas dans un premier temps, puisque j’avais de sacrés a priori sur lui. Finalement, je suis devenu complètement hanté par son travail, cherchant tous les Cézanne que je pouvais voir notamment à Londres, à Paris, à Lyon etc...

Parallèlement, un peu avant l’exposition de Pompidou sur la préhistoire et l’art moderne, je visite plusieurs fois les grottes d’Isturitz et Oxocelhaya, je lis de plus en plus sur le Paléolithique. Divers éléments que je rappelle dans Poésie-Paléo me semblent carrément dingues et là, c’est parti ! Et on pourrait dire que ça se finit au cours de l’été 2020, quand j’ai eu l’impression d’être dans une des versions des Baigneuses de Cézanne, avec des copines à la plage…