Le sang des filles de Julie Nakache par Héloïse Morel
SANG À TISSER
Par Héloïse Morel
Le Sang des filles, aux éditions Exopotamie, entraîne dans une lignée de femmes, à travers des amours, de l’enfance, du vieillissement sous les mots de Julie Nakache et les visuels de Diego Arrascaeta.
Julie Nakache est dans une trajectoire, descendant du sang des filles, aux mères, à la mémoire des corps, des guerres et à la perte, la mort. Elle tisse des mots qui sont accompagnés par les images de Diego Arrascaeta, un artiste argentin. Ce dernier qui se dit « pas encore né » fait émerger des univers et de l’ombre, visages et corps partiellement, de dos, un œil, des jambes, parfois juste un lit, là, enfoncé sous les eaux sombres entourées de bois. On ne sait pas si ces personnes cherchent à fuir parfois ou s’engouffrer dans les ombres qui les émergent ou immergent. Et soudain, cette femme, page 60, de dos, assise sur un nuage au soleil. De Julie Nakache, nous connaissions Une Nuit noire et longue aux éditions Le Temps qu’il fait. Elle parcourait déjà dans les corps, celui de la gouvernante de Rembrandt, une nourrice oubliée, qu’elle revitalise, comme dans ce recueil les corps des mères, des filles.
«Elle couche avec la nuit
Sa poitrine cogne à réveiller les endormies»
Elle charrie avec elle, ces mères, ces femmes, celles qui saignent, enfantent, élèvent, et tombent, disparaissent. Il y a la table en Formica de l’enfance, les miettes du petit-déjeuner côtoyant le bûcher des sorcières. Traversées d’une histoire qui animent nos imaginaires d’aujourd’hui. La mère qui disparaît laisse derrière elle des mémoires : « et on se demande où, après elle, retrouver les rires et le ciel. » Julie Nakache parcourt le lot de la vie, son lourd tribut et les souvenirs de femmes pleines de sang en elles ou s’écoulant, dans la poésie. Une manière de dire pour que les mères ne meurent jamais.
« Il est des poèmes qui tiennent sur une seule
note
et toujours se tenir debout sur le seuil »
Saluons l’existence de phrases simples pour tant de complexité, et les couleurs, les fleurs dans ces corps de femmes vieilles, naissantes, adultes dans certains dessins de Diego Arrascaeta.
Le Sang des filles de Julie Nakache, visuels de Diego Arrascaeta, Exopotamie éditions, 2023, 70 p., 16 €.
Les éditions Exopotamie, situées à Biarritz, proposent une collection intitulée « écumes », dialogue entre créations poétiques, visuelles ou sonores. Julie Nakache vient de faire paraître dans cette même collection, Entre chiens et louves, avec des visuels de Kolet Goyhenetche. Une suite aux fils des filles, des mères.